C’est bien connu, la journée appartient aux gens qui se lèvent tôt… Et tôt, c’est juste avant qu’Apollon n’opère. Dans
le port de Bages, il n’y a pas de marins qui chantent des rêves qui les hantent. A cette heure-ci, il y a le calme qui
intrigue et le calme qui rassure. Au milieu des filets de pêche entreposés ça et là, une mouette, plus matinale que les
autres, annonce les prémices d’une vie en éveil. Un pêcheur s’affaire. Notre regard glisse vers les eaux huileuses de
l’étang, et sur ce miroir, la lueur se devine. Le bateau glisse aussi, l’aventure sera belle. C’est à bâbord que le
spectacle va planter son clou. Et comme nous, des oiseaux par vol, flamants et goélands, arrivent car ils savent que
c’est là que tout commence. Il faut à tout prix « capturer l’instant », mais l’instant nous échappe et en lui les ténèbres
deviennent lumière, le repos…éveil, en un instant, la vie fuit vers la vie.
Trop tard. Trop tard pour toi le poisson qui émerge pour contempler la magie d’Apollon. Mais c’est toi qui
annonce l’ouverture de notre partie de pêche. Alors nous commençons à égorger les escabènes, nous les enfilons
comme des perles vivantes sur les hameçons et nous jetons au loin ces appâts en espérant qu’ils soient dévorés au
plus vite. Le frétillement de la saucanelle ressenti au bout de nos mains garantit non seulement notre repas, mais
aussi une jubilation intérieure certaine. Quel plaisir de mouliner à la hâte, discrètement tout de même pour mieux
surprendre, et ramener dans un élan de fierté, au bout du crin, la rançon de la gloire, le butin des gens auxquels la
journée appartient car ils se sont levé tôt, la Médaille d’Argent ! Nous pêchons sans répit, que ça morde ou pas,
l’essentiel étant… que ça morde !
L’heure du repas approche, il va falloir lever l’ancre. La chaleur a chassé la brise matinale. Mais aspirer à un peu de
fraîcheur n’est que prétexte pour improviser une baignade dans ces eaux presque tropicales. Oui, c’est l’étang de
Bages, pas de vase, sable fin. C’est « La Sèche » et c’est tropical !
Peut-être parce qu’il est de jouvence, ce bain semble réveiller chez les anciens des réflexes d’antan, gestes d’enfants
en bas âge, gestes de barbotage…
La balade sur l’étang s’achève. Ce n’est plus la douceur, ni la timidité matinale qui nous habitent. A cette heure-ci,
le bateau ne glisse plus, il se dresse et il fouette, nous nous cramponnons à n’importe quoi pour affronter l’air qui
nous déséquilibre. Par moments, une vague nous éclabousse toujours un peu plus. L’aventure fût belle. On se tait.
On pense déjà à la prochaine balade sur l’étang. Balade entre la nuit et le jour, entre la mer et la terre, entre le rêve et
la réalité.
A ce moment-là, la journée ne fait que commencer…
Elle nous appartient encore.
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