C’est le début de l’année. L’hiver s’effiloche et laisse derrière lui les vestiges de branches dénudées et de
flétrissure. Tout semble inanimé. Pourtant, tout va bien. La nature nous murmure que rien n’est achevé. On
languit. On guette. On hume le parfum d’un doux présage. Et alors que l’hiver tire sa dernière révérence, les
amandiers tirent leur première pétarade blanche et rose pâle. Les amandiers en plumage nuptial lancent les
hostilités. La cueillette des plantes sauvages va pouvoir commencer.
Il est donc temps d’arpenter la garrigue et se mettre à la recherche de l’Asparagus acutifolius. Les âmes sages
choisissent les sentiers les moins escarpés. Elles laissent à d’autres penser que crapahuter fait grossir le
bouquet. Mais qu’importe, l’asperge est partout à nos pieds pour qui veut bien la ramasser. Nous sillonnons les
coteaux de rocailles et d’épineux afin de découvrir la fine dentelle qui picote un peu. La mate. On
la trouve au pied d’un pin ou d’un olivier, ou bien en bordure d’une friche où plus tard immortelles et
asphodèles vont se mélanger. La mate est intimement liée à l’asperge, il semblerait qu’elle la protège. Mais
par sa présence, elle la trahit. Dès qu’on l’aperçoit, l’or vert déniché est aussitôt cueilli.
Tantôt grasse à souhait, tantôt timide à pleurer, tantôt belle et généreuse, tantôt grande, frêle et effilée, nous
cueillons la tige à la pointe tressée. Elle est une aubaine, un don de la terre nourricière, et par tous les temps,
chaque année, la ramasser est un rituel qui nous plaît. Nous la cueillons… jusqu’à ce que pouce et index ne
puissent contenir le bouquet.
A la maison, nous mettons le fagot dans un pot en verre. Il s’abreuve et ravit le coin de l’évier. Il est là, parmi
nous, comme un trophée, il attend de parfumer nos mets. Ses pointes à nouveau dressées témoignent des
réjouissances de la simplicité. Il est là, il nous réconcilie avec la vie. Il est là, il régale nos papilles. Puis… il n’est
plus là.
En avril, il est coutume de faire pâquette. C’est l’occasion de partager la toute dernière récolte. En famille ou
entre amis, on cherche l’endroit exquis, un coin de garrigue, une pinède ombragée qu’Eole aurait désertée.
Ces agapes honorent l’ultime offrande et l’insouciance des affinités. Sur le madras,
l’omelette pascale aux asperges sauvages rayonne comme un soleil.
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